Les œufs de spécialité victimes des œufs à rabais

Source : La Terre de chez nous

La vente d’aliments sous le coût de revient en épicerie est une pratique marketing qui ne date pas d’hier, mais ses effets indirects sont parfois plus importants que ce qui paraît à première vue. Les œufs de spécialité en paient actuellement le prix.

Pendant que les ventes d’œufs sont en hausse de 3,4 % au Canada, celles des œufs de spécialité ont subi une baisse de 12,6 %. Dans cette catégorie, les œufs oméga-3 ont le plus souffert, avec une chute de 31 %. Ces données d’avril 2016 à avril 2017 publiées par la Fédération des producteurs d’œufs du Québec (FPOQ) amènent les classificateurs à remettre en question les pratiques des grands distributeurs. 

Œufs à rabais

« L’ensemble des œufs de spécialité est affecté par cette guerre de prix », affirme Jean-Luc Turgeon, directeur des opérations pour Burnbrae au Québec. Serge Lefebvre, président de Nutri-Œuf, renchérit : « Ce sont des baisses importantes pour les oméga-3. On voit un lien direct avec les bas prix constants presque toute l’année. Ça cannibalise le marché des spécialités. »

Les deux principaux classificateurs croient que les œufs à bas prix pour attirer la clientèle expliquent en partie les baisses citées plus haut. Certains magasins affichent même les œufs à 1,77 $ la douzaine, soit sous le prix payé aux producteurs, qui est de 1,96 $ pour les gros œufs. Le prix moyen payé par les consommateurs oscille autour de 2,59 $.

Le directeur de Burnbrae, Jean-Luc Turgeon, fait valoir que pendant la crise de la grippe aviaire aux États-Unis, en 2015, les détaillants avaient limité leurs offres spéciales sur les œufs et le classificateur avait vu une remontée des ventes des œufs de spécialité, ceux pour lesquels le -producteur reçoit une prime. Il remarque tout de même que certaines épiceries « poussent » les œufs de -spécialité entre les rabais et sont intéressées par les meilleures marges sur ce type de produit.

D’après Serge Lefebvre, de Nutri-Œuf, la part de marché des œufs de spécialité se situe tout de même autour de 20 %, en incluant le biologique. Et c’est le marché qui dicte aux producteurs ce qu’il veut. « Il va y avoir une progression, mais ça va dépendre des acheteurs », estime le président de Nutri-Œuf, qui cite l’engagement de McDonald’s d’acheter seulement des œufs de poules en liberté d’ici 2025. Les membres de la division alimentation du Conseil canadien du commerce de détail ont pris un engagement similaire pour 2025 en fonction de la disponibilité des approvisionnements. « Les œufs demeurent un produit de commodité », souligne toutefois Serge Lefebvre. 

Une opportunité

« Ça va demeurer une opportunité pour les producteurs avec les primes », estime le président de la FPOQ, Paulin Bouchard, qui s’attend malgré tout à une « croissance lente » pour les œufs de spécialité. La Fédération ne s’oppose d’ailleurs pas à la guerre de prix actuelle. « Ça [les rabais] coûte beaucoup de sous aux épiciers, mais j’imagine que ça vaut la peine », affirme le président.  

Une question de temps

« C’est de voir le premier détaillant qui va casser. Normalement, les chaînes ne veulent pas perdre d’argent et [la guerre de prix] ne devrait pas se maintenir à long terme », croit Maurice Doyon, professeur à l’Université Laval, qui estime qu’un premier joueur va probablement envoyer un signal en arrêtant les ventes à perte. Il faudra alors voir si d’autres bannières suivent le mouvement. Maurice Doyon fait valoir que le rabais sur les œufs n’a pas autant d’impact sur le panier d’épicerie familial qu’un important rabais sur le lait en format de 4 litres.

Le Conseil canadien du commerce de détail n’a pas répondu aux questions de La Terre, se contentant de préciser que celles-ci touchent en grande partie les pratiques d’affaires individuelles de ses membres. Loblaw, Sobeys, Metro et Walmart n’ont pas voulu s’exprimer sur le sujet.

 

Les œufs de spécialité

La catégorie des œufs de spécialité est vaste et très diversifiée. Ceux-ci ne souffrent pas tous également de la vente des œufs à rabais. D’après la Fédération des producteurs d’œufs du Québec, ces œufs non conventionnels permettent « de meilleures marges » pour toute la filière.

Œufs biologiques : l’exception, avec une hausse constante de plus de 10 % par année. La limite se situe plus au niveau du nombre de producteurs prêts à faire une conversion vers le bio.

Œufs oméga-3 : en baisse de 31 % dans la dernière année.

Œufs de poules en liberté : en croissance rapide pendant quelques années, cette catégorie est en « essoufflement ». 

Œufs Coco’Nid ou confort : poules en cages aménagées. Correspond au nouveau mode de production de plusieurs éleveurs.

Œufs sélects et naturels : produits avec une moulée végétarienne. La moulée a aussi été enrichie de vitamine D pour les œufs « naturels ». Souffre un peu de la guerre de prix.

Œufs de poules en libre parcours : pas encore présente dans l’est du Canada, cette catégorie se taille une place dans l’Ouest sous le nom de « free range ». Cette poule en liberté peut sortir dehors.

Sources : Burnbrae et Nutri-Œuf